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Lettres à l’Amant, Extrait 2
Mardi [25 février 1964]
Mitan du jour et le jour comme un lit tombeau, comme un étang triste où l'on traîne, où la nuit déjà pleut, où
l'ombre liquide à la boue se mêle, où chaque pas s'englue happé; menace d'enlisement, d'étouffement, d'effacement. Mitan du jour et le jour comme un lit souillé, comme une couche de malade où languit un
printemps malingre d'oiseaux furtifs et tristes... J'invoque un fraternel Crusoé... Et cependant je suis sans fièvre et sans tristesse – sûre, patiente, heureuse, - et la ville toute et la pluie ne sont qu'une
vitre mince à briser, une illusoire prison que déborde ma réalité lumineuse. Qui me désespèrerait? Je procède du Soleil. Qui m'atteindrait? Si tes mains et ton vœu me préservent. Qui m'ennuierait? Si notre
avenir me captive... Je fais ce rêve d'une chambre profonde et calme, aux bois sombres, polis, aux murs nus et blancs, aux murs sourds épais, où je puisse nous recueillir quand le jour comme aujourd'hui oublie de
se lever, d'une opulente obscurité fleurant la pomme et la cire; une chambre naïve, sans mystère, incorruptible, parfumée, chaleureuse aux carreaux rouges, nette aux rideaux empesés, moelleuse et fraîche au
lit vaste, secrète où nul que toi ne pénètre, où je puisse nous éveiller, nous endormir, nous aimer... (Une chambre entre parenthèses.) [....]
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