Mireille Sorgue
La poésie

Croissance 

 

  Clan des adultes où j’entre à reculons laissant mes mains ouvertes où les chevaux du ciel viennent lécher le sel
qu’y a laissé le vent…
   Je me souviens du temps lointain où, fervente, j’assaillais mon Père (Invulnérable et Magnanime) de ces énigmes
enfantines qui font hausser miséricordieusement les épaules aux dieux blasés, aux dieux qui lisent l’évidence
au fronton des cités,
      (– harassés de devoir, après avoir pourvu les chétives bouches, combler des inquiétudes insatiables)
          – Dis…
   Pourquoi l’araignée mange-t-elle la mouche
   Et pourquoi l’hirondelle en avril nous revient ?
   Pourquoi faut-il que l’on se couche,
   et pourquoi n’est-ce pas demain ?

   Sublime à chaque fois, condescendant, mon Père, sur l’ample ton de la sentence proférait les détails lumineux,
      et pour clore, disait :
          – Lorsque tu seras grande…

   Sésame universel et lampe d’Aladin aux voûtes des cavernes !... L’infinie possibilité, l’ivresse des totales
connaissances… Lorsque je serai grande…
les hautes flammes d’un Azerbaïdjan fabuleux, dans mes prunelles, l’eau à ma bouche !
   Evasive, la main paternelle cernait d’une courbe magique mon impatience avivée, et fidèle, comme il se doit,
le maternel écho reprenait
   « … tu seras grande… »
   Mon père et ma mère, assis sur d’autres rives, semblaient voir au travers des chairs et des cloisons…
   Et j’avais beau chausser mes bottes de sept lieues et j’avais beau manger ma soupe sans murmures,
le souffle ténu, avec une louable dignité, et j’avais beau poser mes mains sur la nappe, oiseaux captifs
dans l’exemplaire attente,
   les portes à franchir restaient inaccessibles comme si pour les atteindre j’avais couru à rebours sur
un tapis roulant !
   Clan des adultes où Ta main m’a conduite et puis laissée…
   – A présent tu es une femme, a dit mon père en caressant mes cheveux. Et tu es assez grande… Mais il n’a pas
achevé parce que je pleurais, sachant déjà que nul Sésame ne rouvrirait les Paradis perdus.

   Clan des adultes où j’entre à reculons…
 

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